The lonesome cowboy’s road
Traversée des États-Unis en solitaire sur ma Ducati M-750
Lorsque la réalité flirt avec le rêve, on a du mal à croire que l’on est éveillé, alors on profite de chaque instant comme si l’on allait être tiré de notre sommeil, mais l’aventure continue, on se réveille chaque matin dans un lieu différent, on roule chaque jour sur des routes nouvelles, les paysages nous semblent familier pour les avoir imaginé des millions de fois ou pour les avoir vue sur les photos d’autres voyageurs, mais cette fois j’y suis pour de bon. Je pars traverser les États-Unis en solitaire sur ma Ducati Monster 750 de 1998.
J’aurais pu partir avec une bande de potes, louer une Harley comme beaucoup le font afin de vivre le mythe américain basique. Mais j’ai préféré le vivre à ma manière. Seul, avec ma propre bécane, pour vivre plus intensément chaque moment, et afin que le bon ou le mauvais déroulement du voyage ne soit imputé qu’à moi seul. Ce fut l’idée de base autour de laquelle j’allais construire ce voyage. Plusieurs mois d’études et d’organisation furent nécessaires pour régler les affaires administratives, quant au Road Book je voulais laisser une grande part à l’improvisation, me basant sur mes connaissances personnelles et me renseignant au fil du voyage afin qu’il soit le plus authentique possible.
J’ai donc fait exporter ma Ducati Monster 750 depuis Paris vers Toronto par les airs. La moto voyageant dans la soute du même avion que moi, ce qui devait faciliter la reprise en douane. J’ai quand même dû attendre plus de 8h dans un hangar, la fatigue du décalage horaire amplifiant l’angoisse de me voir refouler aux portes du rêve. Et, ce n’est véritablement que lorsque le douanier tamponne mon bon de sortie que tout peut commencer… Un quart de tour de clé dans le Neiman. Une légère pression sur le démarreur. Le bicylindre ronronne calmement. Je ressens les vibrations à travers tout mon corps. Tout semble être à l’arrêt autour de moi. Ces simples gestes, répétés des milliers de fois, prennent ici une tout autre dimension. L’intensité est très forte. D’un coup, j’agrippe la poignée d’embrayage. Une poussée verticale sur le sélecteur fait claquer la boite de vitesse. La première est enclenchée, je peux maintenant tordre la poignée des gaz. Le moteur s’emballe. Les roues commencent à tourner et un large sourire s’installe sur mon visage pour ne plus me quitter du voyage.
Les paysages défilent à grande vitesse, mon regard balaye ces grandes étendues bordant la route pour en capter les moindres détails. Je n’ai au final qu’assez peu de temps pour rejoindre l’Ouest et je souhaite voir le maximum de choses et vivre intensément chaque moment. La route n’a pour l’instant rien d’extraordinaire, mis à part qu’elle se trouve à des milliers de kilomètres des routes que j’emprunte habituellement. Le ciel est nuageux, mais il ne pleut pas, pourtant des gouttes d’eau tombent sur la visière de mon casque, un grondement assourdissant et constant s’installe dans l’air comme si le tonnerre se déchaînait, un panneau me souhaite la bienvenue aux chutes du Niagara ! C’est la première étape de mon voyage et j’ai déjà le souffle coupé… en moi-même je me dis que l’apnée va être longue.
N’étant pas considéré ici en France comme quelqu’un de particulièrement sociable, ma principale crainte était d’être trop timide et réservé pour oser aller vers les gens et faire des rencontres. C’était sans compter sur la gentillesse et la simplicité des Américains ainsi que sur la formidable capacité d’attraction de ma monture, qui, chargée comme elle l’était et immatriculée dans le 06, m’offrait la possibilité de discuter et sympathiser avec des personnes intriguées et fascinées par mon voyage. Lors de chaque arrêt, j’étais frappé par cette facilité d’échanges, par la convivialité et l’accueil qui m’a été offert.
Au gré de mes envies et de mes rencontres, j’allais façonner ce voyage. Et tout allait s’enchaîner très vite. Les jours défilent. Les paysages changent à chaque État. La route m’emmène dans un premier temps jusqu’à New York City puis Washington DC. Et malgré l’immense fierté ressentie à me trouver dans des endroits aussi magiques, je ne peux m’empêcher d’avoir l’envie de quitter la civilisation. De poursuivre ma route vers des terres plus sauvages.
C’est donc à l’angle entre la Maison-Blanche et le Capitol que je prenais la direction de l’Ouest. Traversant la Virginie, la Virginie-Occidentale et le Kentucky pour rejoindre le Tennessee et la fabuleuse ville de Nashville, capitale mondiale de la Country Music. On ne peut qu’être envoûté par tous ces magasins de chapeaux et de santiags, par tous ces bars où la bière coule à flots, ou séduit par la douceur de toutes ces cowgirls plus belles les unes que les autres dans cette ville où Johnny Cash est roi.
Après la Country, je m’attaque à un autre très gros mythe de l’histoire de la Musique… le Rock n’ Roll ! Bienvenue à Memphis, ici tous vie au rythme du Blues et du rock n’ roll. Le long de l’Elvis Presley Boulevard et jusqu’à Beale Street, le King illumine toujours l’âme de Memphis.
La route continue de défiler sous mes roues et en quittant le Tennessee pour L’Arkansas, j’entame la partie la plus longue et peut-être la plus pénible du voyage, en empruntant l’Interstate 40 au travers de l’Arkansas, l’Oklahoma, le Texas, le Nouveau-Mexique, et l’Arizona, je choisis la route la plus directe vers l’Ouest. Les journées sont destinées uniquement à la route. Il faut avancer. J’ai l’impression de participer à la mythique « Cannonball Run » durant laquelle des motards traversent le pays de New York à San Francisco en seulement quelques jours. La Ducat’ bouffe les miles comme jamais elle ne l’a fait, et elle encaisse le vent, la pluie, la chaleur sans rien dire, elle n’a rien à envier aux grosses routières sans âme. Son confort rustique et l’absence totale de protection ne font qu’agrémenter le côté rocambolesque de ce voyage.
Alors que l’on arrive à Oklahoma City, un petit panneau plutôt discret, annonce que l’on se trouve sur la Route 66. Mon cœur bas à 200km/h (ou plutôt 124 miles/h). C’est un de ces moments magiques dans la vie d’un homme. Un moment d’immenses fiertés. Je me sens plus vivant que jamais, je roule avec MA Ducati Monster 750 de 1998 sur la Route 66 pendant que Chuck Berry hurle dans mes oreilles « Get your kicks on Route 66 ». C’est fantastique. En moi-même je pense « ne me réveillez pas maintenant »
Je vais suivre la Mother Road le plus souvent possible, alternant avec l’I-40, car de nombreuses portions de la 66 ne sont plus praticables. Au fil des miles les habitations se raréfient laissant place aux plaines verdoyantes, aux Ranchs et au bétails, l’horizon s’étend de plus en plus loin, les lignes droites sont de plus en plus longues… Ça y est, je passe la frontière du Texas. La frontière symbolique entre l’EST et L’OUEST.
L’excitation est au maximum, le soleil est radieux, la moto marche bien, mais la fatigue commence à se faire sentir, il faut dire que je roule à un rythme effréné, avec une moyenne de plus de 500 kilomètres par jour.
17 jours après mes premiers tours de roues sur le continent Américain, j’atteignais Flagstaff en Arizona et quittais enfin l’I-40 pour bifurquer vers le Grand Canyon. Profitant de la loi ne rendant pas le port du casque obligatoire, je roulais tête nue sur la route longeant le précipice, à basse vitesse, sur le couple de mon bicylindre et j’écoutais le vrombissement du moteur aller se perdre dans l’immensité du canyon. De tout ce qu’il m’a été donné de voir, rien ne m’a jamais autant pris aux tripes. J’avais l’impression de contempler le rebord du monde.
Les routes sont parfois sinueuses, parfois monotones. Elles traversent plaines, forêts et déserts emplissant mes yeux de paysages merveilleux et illuminant mon cœur de sentiments éternels. J’ai senti mon cœur battre au rythme de ces routes, bercé par le ronronnement du moteur, les vibrations des imperfections de l’asphalte et le balancement de la Ducati se mettant sur l’angle pour enrouler chaque virage avec douceur.
Chaque personne rencontrée me conseillait telle ou telle route, telle ou telle ville et m’orientait vers des lieux sensationnels. En prenant vers l’Est j’ai pu admirer la perfection du HorseShoe, l’immense barrage de Glen Canyon, le jeu de lumière dans l’antre d’Antelope Canyon, la somptuosité de Monument Valley, puis au Nord vers Moab avec les Parcs Nationaux d’Archs, Canyonlands, Bryce Canyon et Zion, pour enfin reprendre vers l’Ouest en direction de Las Vegas.
Il est difficile d’exprimer les sentiments ressentis durant ce voyage, la solitude amplifiant certainement les émotions. Les craintes, les déceptions et les douleurs étaient plus dures, mais à l’inverse, la fierté, les joies et les plaisirs étaient plus intenses. Seul, tout est décuplé. La pluie semble tomber plus fort. Le vent souffle plus violemment. Le soleil plus brûlant et la fatigue est plus pesante. Mais l’on a conscience de vivre un moment unique et chaque soir, allongé sur le lit d’un motel de bord de route ou sous ma toile de tente, je me réjouissais des journées passées et me languissais de celles à venir.
Je quittais pour un temps la douceur et le calme des parcs nationaux de l’Ouest Américain pour me retrouver dans la folie et la démesure de Las Vegas. L’atmosphère irrespirable due à la circulation et à une chaleur extrême faisait surchauffer la Ducati qui méritait bien un arrêt de plusieurs jours. Le temps pour moi de profiter de ce retour à la civilisation pas reposant du tout. Après avoir goûté à la décadence de la ville, aux vices du jeu et au confort des luxueux hôtels, la reprise de l’aventure est délicate. Je repars encore plus fatiguer qu’à mon arrivée. Les premiers kilomètres sont extrêmement difficiles. La circulation est pesante. La route semble interminable. Le vent souffle fort et le ciel s’assombrit. J’ai plus d’une fois l’envie de faire demi-tour et retourner à Vegas. Heureusement ma main droite ne réfléchit pas et continue d’accélérer. La moto m’emmène loin de Las Vegas et finalement j’en suis content. L’aventure reprend son cours. La route vers le Pacifique est encore longue.
Je traverse le désert aride de la Vallée de la Mort et gravi le Parc National, encore partiellement enneigé, de Yosemite. En seulement quelques kilomètres, le climat et les paysages changent radicalement. La chaleur et le désert laissent place à la fraîcheur et la végétation luxuriante. La traversée du parc de Yosemite révèle ce dont la nature à de plus beau à offrir. Avoir la chance de croiser quelques ours dans leur environnement naturel, rouler au travers de paysages époustouflants et dormir à la belle étoile, près d’un feu de camp, au milieu des séquoias géants.
En me rapprochant kilomètre après kilomètre de l’océan Pacifique, la route devient peu à peu mélancolique. Je regarde avec fierté ma bécane. Repense à ce que l’on a traversé pour arriver jusqu’ici et freine volontairement mon avancé. Comme pour espérer prolonger le voyage. C’est dans la ville de Cambria en Californie que l’objectif sera atteint. Le soleil est déjà bien bas dans le ciel. Je coupe le moteur. Dépose délicatement la moto sur sa béquille et observe. Silencieux. Le déferlement des vagues et les surfeurs tenter de dompter l’océan. Le lendemain, je devrai prendre la direction du Nord vers San Francisco. J’ai atteins le point le plus à l’Ouest, là où le soleil se couche. De l’autre côté de l’océan, il se lève.
J’ai suivi la côte Pacifique en empruntant la Scenic Pacific Coast Highway N°1, visitant San Francisco et son magnifique Golden Gate Bridge, puis la route 101 toujours en direction du Nord bordant l’océan, au travers de l’Avenue des géants et la forêt de Redwood. Le temps est de plus en plus instable, j’essuie averse sur orage et lutte contre un froid persistant. Il faut rependre la route chaque matin alors que tout est trempé, il faut se résigner à rouler pendant des heures sous la pluie alors qu’en temps normal on resterait bien au chaud à s’abrutir devant la télévision. C’est ce qui fait au final le charme de ses voyages par la route, devoir avancer malgré des conditions défavorables et se surpasser physiquement et mentalement. Savourant chaque soir un repos bien mérité, et s’enivrant de l’accueil et la générosité des personnes que l’on croise. Car ce sont véritablement ces rencontres qui font qu’un voyage se transforme en aventure humaine.
Le voyage a pris fin à Vancouver. Après 40 jours passés sur les routes, il était temps de rentrer au pays. Reprendre le cours de la vie. Tenter de partager avec mes proches cette fabuleuse expérience. Mais comme si l’on devait raconter un rêve que l’on vient de faire, les mots ne viennent pas. On est incapable de décrire ce que l’on a vécu. Il m’aura fallu du temps pour rédiger ce récit et partager mes émotions. J’ai parcouru plus de 13 000 kilomètres, au travers de 20 états. J’ai suivi la route vers l’Ouest et j’ai vécu mon rêve au guidon de ma bécane. La route est une aventure et il suffit de mettre les gaz pour la vivre.
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